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RAÄVENA

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Assise dans un coin, après avoir nettoyé mon visage, j'observais silencieusement les elfes s'agiter autour de moi. Mon cœur cognait à vive allure dans sa poitrine alors qu'une étrange sensation de malaise me tenait à la gorge. Je ne savais pas comment l'expliquer, mais j'étais persuadée que cela venait de l'odeur infâme qui émanait de ces loups. Les blessés avaient été emmenés pour être soignés, mais à première vue, ce n'était rien de grave, ils devraient rapidement se remettre de ces plaies minimes. Mon attention se tourna vers Erzaren qui observait les cadavres déchiquetés des bêtes un peu plus loin. Il avait le nez froncé et une expression qui trahissait son dégoût. Lui aussi, il devait sentir cette horrible odeur, sinon sa figure ne ressemblerait pas à ça.

— Je peux savoir ce que tu as voulu dire par « ça chlingue » ?

La voix grave dans mon dos me fit sursauter et je me retournai. Dans ma position, il me fallut relever le nez pour pouvoir voir mon interlocuteur. Aolis me scrutait attentivement, les bras croisés sur son large torse drapé d'un vêtement à la couleur des bois. Je le dévisageai en silence et ne pus m'empêcher de suivre des yeux les fines mèches encrées qui glissaient contre sa peau pâle et sans défauts pour par la suite se balancer lentement dans le vide.

— Tu as perdu ta langue, sang pur ?

— Non, Monseigneur.

— Alors, réponds à ma question, dit-il d'un ton calme, mais teinté d'autorité.

— Ce loup empestait, rien de plus. Je n'avais jamais senti quelque chose comme ça auparavant.

— Hum, peut-être ont-ils contracté une maladie qui les a poussés à agir ainsi et qui provoquerait cette odeur.

Je me contentai de hausser les épaules pour faire comprendre que je n'en avais aucune idée. Ce n'était pas mon domaine, ça, j'étais seulement une esclave. J'avais la chance de savoir lire et écrire, mais n'avait aucune spécialisation. Erzaren serait, certainement, le plus à même de pouvoir répondre aux interrogations du souverain. Souverain dont je sentis les longs doigts venir se glisser dans ma tignasse. Mon souffle se bloqua dans mes poumons alors que mon cœur se mit à battre un peu plus fort dans ma poitrine. Avait-il remarqué que mes cheveux étaient moins ternes ? Si c'était le cas, il y aurait des têtes qui tomberaient avant le coucher du soleil. Mes mains se crispèrent sur mes genoux même si je tentais de conserver mon calme, bien qu'il n'y ait rien de suspect à craindre mon maître. Surtout lorsque celui-ci était un souverain elfique.

Il tira un peu sur mes mèches sombres pour me faire basculer la tête vers l'arrière tandis qu'il s'abaissait vers moi. Ses iris azurés étaient plantés dans les miens et j'avais l'impression qu'il pouvait voir en moi, deviner mes émotions et mes pensées. C'était quelque chose d'intimidant que de se dire que quelqu'un pouvait, potentiellement, violer votre intimité seulement en vous regardant dans les yeux.

— Edea a l'air de t'apprécier, articula-t-il, c'est ma sœur cadette, donc obéis-lui comme si c'était moi qui te donnais des ordres, compris ?

— Oui, Monseigneur.

— Parfait, je n'ai pas besoin de te dire que le moindre faux pas avec elle te coutera ta tête, hum ?

Pourquoi le dire alors ?!

Comme si je ne savais pas ! Je détestais qu'on me prenne ainsi pour une imbécile. Un sourire satisfait et un tantinet méprisant habilla les lèvres du roi tandis qu'il se redressait et que ses doigts quittaient ma chevelure.

— Allez, retourne avec le reste de la vermine et au pas de course.

— Oui, Monseigneur.

Espèce de connard arrogant.

Je me remis debout et ne traînai pas à rejoindre la queue de file, les autres n'avaient pas bougé, des gardes les surveillaient de toute façon. Je remontai tranquillement dans le convoi, mais il y eut un concerto de sons de répulsion, ce qui me fit froncer les sourcils.

— C'est quoi cette odeur ?! geignit Valaine en portant sa main à son nez.

— Tu t'es roulée dans un mélange de merde et de cadavres en décomposition, ou quoi, Raävena ?! renchérit Qadir.

Je vis, du coin de l'œil, Tearle avoir un haut-le-cœur. Donc je n'étais pas la seule à sentir cette émanation parfaitement dégoûtante, ça me rassurait un peu.

— Je suis désolée, ça vient du sang d'un des loups qui a été tué.

— Du sang ? répéta Paine. Quel genre de sang empeste à ce point ? Même si c'était la dernière ressource de sang sur les terres de Yiheon, je ne boirais pas ça !

C'était sans doute la première fois que je l'entendais parler autant, c'était dire à quel point d'ordinaire il s'avérait peu loquace. Je pus que, comme au roi, en tout et pour tout, lui offrir un haussement des épaules. Je ne savais pas quoi répondre à ça, moi aussi, je trouvais ça étrange et dégoûtant, mais c'était ainsi. Mais il était vrai que cette odeur était réellement écœurante. Je m'emparai du tissu de sa robe et le déchira d'un coup sec pour fendre le vêtement sur une large zone avant de créer une autre déchirure. Je jetai ensuite le morceau imbibé du sang mal odorant hors de notre carriole. Ma jambe gauche était maintenant presque complètement visible, mais j'aimais mieux ça que d'empester la charogne. J'étendis mes membres inférieurs devant moi et posai l'arrière de mon crâne contre la bâche qui recouvrait les côtés et la partie supérieure de notre moyen de transport alors que mes paupières se fermèrent. Plus en avant, un cor raisonna, signalant le départ tout proche.

***

Mon malaise était toujours bien présent et je ne parvenais pas à m'en débarrasser. J'avais vu des choses bien plus horribles que des cadavres de loups mutilés et une mauvaise odeur. Donc pourquoi mes entrailles continuaient-elles de se tordre d'angoisse ? Je n'arrivais pas à me reposer à cause de ça. Je pris donc l'initiative de me concentrer sur les sons de la forêt dans l'optique de pouvoir me détendre, sauf que, bien vite, quelque chose la frappa.

— Hey, vous entendez ça ? demandai-je aux miens.

Les cinq autres créatures sanguinivores se mirent alors à écouter à leur tour, ce fut Tearle qui parla le premier.

— Non, il n'y a rien du tout.

— Justement, rien. Pas un bruit. Vous trouvez ça normal dans les Bois Eternels ?

Ce ne fut qu'à la suite de cette remarque de ma part que tous tendirent plus attentivement l'oreille pour se rendre compte que j'avais raison, il y avait quelque chose qui n'allait pas dans ce lieu. Les Bois Eternels étaient connus pour leur splendeur et la vie qui les habitait, animaux en tout genre et différentes créatures de Yiheon. Nous devrions entendre le chant des oiseaux, les rires des fées qui jouaient entre les arbres et les autres sons divers et variés que l'on devait normalement retrouver dans cet océan de verdure. Ici, il n'y avait aucun bruit en dehors de celui que notre cortège provoquait. Le vent ne semblait même pas se faufiler entre les branchages pour faire danser les feuilles.

J'étais persuadée que les elfes avaient aussi remarqué cette curieuse atmosphère, mais personne ne disait rien. Que pouvaient-ils dire de toute façon ? Peut-être était-ce à cause de ces loups à l'attitude étrange. Mais j'avais réellement du mal à croire que ce silence de mort soit uniquement dû à quelques animaux au comportement anormal. Surtout qu'ils avaient été massacrés, dès lors la faune et la flore auraient dû retrouver leur activité habituelle. Je déglutis avec peine alors que le sentiment de malaise que je ressentais depuis l'attaque gagna encore en intensité, me donnant une légère nausée. Je ne savais pas pourquoi, mais j'avais envie de sortir de cette zone au plus vite, d'entendre à nouveau le murmure du vent dans les feuillages, les fées, le chant des oiseaux et tous les autres bruits qui rendaient si vivant ce lieu. Mes semblables ne paraissaient pas plus à l'aise que moi face à tout ça, mais ils ne pouvaient que prendre leur mal en patience, eux aussi.

Quelque chose attira soudainement mon regard, je plissai un peu les yeux en croyant apercevoir une silhouette partiellement dissimulée derrière un arbre, sa main osseuse agrippée au tronc alors que ses ongles cassés semblaient gratter l'écorce. Des sueurs froides lui glissèrent le long du dos tandis qu'un violent vertige s'empara de moi. Il me fallut me raccrocher au rebord de la carriole pour ne pas chuter de celle-ci. Mes oreilles se mirent à siffler, empêchant tout autre son de m'atteindre. Je m'écroulai sur le côté en posant mes mains dessus pour essayer de stopper ce son infâme qui résonnait en continu. Mais rien à faire, cela ne voulait pas s'arrêter, devenant même encore plus intense. Ma vue se brouilla et tous mes sens s'engourdirent jusqu'à ce que je ne sente plus rien.

***

— Cours Raävena ! Et ne te retourne pas !

— Mais maman...

— VA T-EN !

Le cœur déchiré et le visage inondé par les larmes, je courus le plus vite possible, sans me retourner. Ignorant les branches qui me giflaient la figure et qui égratignaient ma peau, alors que je laissais derrière moi ma seule famille, celle qui m'avait toujours protégée et qui avait tout sacrifié pour moi. Je ne pus m'empêcher de hurler tout mon désespoir et ma colère à la lune qui brillait fort dans le ciel nocturne au-dessus de ma tête.

***

Je me réveillai brusquement, la peau moite et le souffle court. Je discernai des silhouettes au-dessus de moi, ma vue étant encore troublée, je ne pus savoir de qui il s'agissait. Alors que je battais des paupières pour disperser le flou qui avait envahi mes yeux, on m'attrapa par le poignet pour me tirer avec force, ce qui me fit tomber de la carriole, c'était la deuxième fois ce jour-là. Celui qui avait fait ça me remit sur mes pieds avec rudesse avant de me pousser pour que je libère le chemin. Ces gestes sans la moindre once de douceur m'avaient partiellement dénudée, un de mes seins avait jailli hors du tissu et le second n'était pas loin de connaitre le même sort. Recouvrant une vue claire, je me rhabillai correctement alors que je regardai les soldats sortir un à un les autres vampires de la carriole avec le même manque de délicatesse dont ils avaient fait preuve avec moi. Mais ce n'était pas ce qui me titillait le plus.

Cela faisait très longtemps que je n'avais plus rêvé de ma mère. Ce qu'il s'était arrivé dans cette forêt m'avait-il perturbée au point de faire resurgir de vieux souvenirs sous la forme de songes ? Cela me semblait improbable, pourtant je ne pouvais pas nier avoir rêvé du passé. Ce n'était pas quelque chose que j'appréciais, j'avais enterré ces souvenirs, les seuls heureux que j'aie connus, pour ne plus y penser et donc ne plus en souffrir. Bien que celui-là n'avait rien de gai. Je les avais tant refoulés que je ne me rappelais plus exactement des évènements survenus cette nuit-là, ni comment j'avais été capturée pour devenir une esclave. Je secouai légèrement la tête pour chasser ces pensées, il valait mieux que je ne me torture pas l'esprit avec ça, ce qui était fait ne pouvait être défait. Je levai alors le nez vers le ciel et me rendis compte que le jour déclinait un peu plus à chaque minute qui s'écoulait. Je ne m'attendais pas à être restée inconsciente si longtemps.

— Arrête de rêvasser ! tonna une voix à mon attention.

J'eus le réflexe de me retourner pour rattraper ce qu'on m'avait jeté, quand bien même je faillis chuter dans la manœuvre. Le soldat me lança un regard agacé dont je n'eus cure, je me détournai pour aller déposer ce qu'on m'avait confié dans un coin. Il fallait évidemment monter le campement avant la nuit, même si de ce que j'observais, ils étaient déjà bien avancés. Les elfes et leur organisation parfaite, Thuaris n'avait pas lésiné sur les qualités au moment où elle avait créé ces créatures. Et dire que fut une époque où, nous, les vampires faisions jeu égal avec ces forces de la nature. Lorsque j'y pensais, j'avais l'impression que ce n'était qu'une légende tant cela semblait improbable quand on voyait à quoi les enfants d'Esris avaient été réduits.

— Sang pur ! Dame Edea te demande et dépêche-toi, je n'aime pas attendre !

Un léger froncement de sourcil apparut sur mon visage. Que me voulait encore cette elfe ? Je déposai mon chargement et me rendis vers la tente que me pointait du doigt le soldat. J'aurais rapidement la réponse.

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